Le délicat choix du (bon) prix

Le prix de l’artisanat, le choix du tarif à appliquer … autant de questions de mercantilisme, d’accessibilité et de prétendue rentabilité. 

En 2013, je vendais timidement mes premiers savons à la tout autant timide foire bien-être de St-Jean Montclar, à côté de Seyne-les-Alpes. J’y rencontrais des personnes absolument formidables comme Isabelle, par exemple, qui m’a embauché dans son jardin de Simples et transmis à peut-près tout ce que je sais sur les plantes et les jardins. Carole & Alain et leur bonté d’âme, et d’autres gens que j’ai perdu de vue depuis. Nous n’étions pas encore en Yourte, mais c’était alors le dernier hiver passé dans une maison. Je n’étais pas encore vraiment ni savonnier, ni vendeur… je débarquais dans un monde tout neuf. Le monde des foires bien-être, le monde de la vente, le monde du tout petit (et timide) artisanat. Premières armes, premières rencontres, comme la première goulée d’air froide et piquante d’une naissance tranquille. Autant d’odeurs, de sensations, de gens qui resteront gravés pour toujours.

C’était le démarrage.

Le démarrage d’une activité, aussi petite soit-elle, demande un minimum de sous. J’ai démarré avec 550€ en poche, dont 250 dépensés dans l’achat d’une caravane que je transformerais en atelier. Autant dire 300 balles pour des huiles de (très) bonne qualité, de la soude qui répond aux exigences de l’ANSM et un peu de bois pour faire une caisse à savon. En 2013, les huiles valaient, toutes choses étant égales par ailleurs, peu cher. Un coût vraiment réduit pour fabriquer quelques kilos de savon. Je choisissais alors mon modèle économique (c’est pas un gros mot, c’est essentiel): Populaire.

Pour résumer, je voulais que mes savons soient accessibles à tous·tes, même aux faibles revenus. Parce que le bien-être, c’est pas réservé aux bourgeois·es (c’est pas un gros mot non plus, c’est une réalité), on y a toutes et tous droit. Faire et vendre un savon que j’aurais moi-même eu envie d’acheter sans ruiner mon repas du soir.

Extrait du dictionnaire de l'Académie Française, édition 1798

L’idée de 4€ me plaisait, tout en sachant qu’un savon « Le Chat » au supermarché, c’était 80 centimes les 2. 

Mon tarif était fixé comme suit : TVA: 0,67€. Coût des matière premières pour un savon : 0,80€. Coût de vente (dont part coopérative) : 0,50€. Reste 2€ pour fabriquer 2 fois ce que j’ai vendu.

Moi : rien pour l’instant. 4€, ça passe !

Et c’est passé. Avec mes premières ventes au salon bien-être, j’ai pu fabriquer 5 Kg de chaque recette…. soit 20 Kg de savons ! Je les ai vendus au marché du mercredi de Gap et aux marchés de Noël d’Espinasse, de Selonnet et de Turriers. Toujours avec le même modèle, j’ai déposé les recettes, créé un atelier digne de ce nom dans la toute petite caravane 3 places et … fabriqué encore 20Kg de savons.

Et puis … Décollage !

J’ai enfin pu acheter les matières premières en demi-gros : j’ai rencontré Karim de Oka Cosmetics à ses touts débuts, à mon tout début, il m’a fournit en Karité bio dès le commencement… Se fournir en demi-gros, c’est pas anodin: les matières premières sont moins chères. Le modèle 4€ allait pouvoir me payer, un peu. On était en 2015. J’ai gardé ce tarif jusqu’en 2021 sur le site web.

Pourtant, le prix de l’huile d’olive ne faisait que fluctuer, surtout vers la hausse. On est passé en 2014 de 4,90€ le litre d’huile d’olive bio à 6,50 en 2020.

Et tout à commencé à déconner à ce moment là. Bon, le covid bien sûr (donc pas de ventes en direct), et des soucis de production d’huile d’olive dans les zones productrices (la mouche, la sécheresse, la pluie, les tremblements de terre, les extraterrestres …bref, la totale quoi).

Sources du graphe : INSEE

Et surtout – surtout – les producteurs, les artisans et les commerçants qui ont nourrit l’inflation en faisant des réserves stratégiques éclairées « parce qu’on sait pas à combien elle va monter au 1er janvier 2021, mais on va se faire déchirer ». Iels étaient surtout éclairés par l’appât du gain, et, finalement, le prix de l’huile d’olive a baissé et tous les rigolos débordant d’huile d’olive super chère on dû augmenter leurs tarifs plutôt que de vendre à perte. C’est cruel n’est-ce pas ? Oui, on appelle ça la spéculation.

Ils ont spéculé et vous payez …

et Un savon sous la Yourte a résisté, je ne spécule pas, on en discutera peut-être plus tard. Tout est question de ce que l’on appelle le Capital® et de son positionnement personnel. 

En 2021, sur le site web, les savons passaient à 4,50€, parce que les tarifs de Jimdo®, mon hébergeur web, plusquedoublaient (de 70 à 160€/an les bâ…ds). Sans aucune raison apparente d’ailleurs, mais probablement un avant-goût de ce qui allait se passer un peu partout…

Sur les marchés hebdomadaires, pas de changement de tarifs, à tel point que certains artisans me faisaient des remarques désobligeantes du genre « il ne faut pas dévaloriser le travail artisanal » où bien « à ce prix, personne ne croit que c’est toi qui fabrique« . On commençait surtout à être un peu trop nombreux dans les Hautes-Alpes à faire des trucs équivalents. Et puis ce fût le départ en Ecosse, parce que nous devions vivre une nouvelle aventure. Je continuais à vendre sur le site, au ralentis. Puis plus du tout, je stoppais l’activité de la savonnerie, car je résidais bien plus en Ecosse qu’en Provence. 

J’ai recommencé à fabriquer réellement en septembre 2024. J’ai racheté des huiles. « Ils sont devenus fou » disais-je, et je le pense encore. Quoi !? 15 balles le litre d’huile d’olive bio chez mon fournisseur habituel !? Trois fois plus cher !? Mais pour quelles raisons !? La guerre en Ukraine ? le Gaz ? l’électricité ? Arguments fallacieux… Saviez-vous que le prix de toutes les huiles sont influencés par celui … de l’huile de tournesol ? Et le plus grand producteur d’huile de tournesol au monde c’est … l’Ukraine. Ainsi donc, les tarifs de l’huile d’olive Espagnole, indexés sur celui de l’huile de tournesol Ukrainienne, ont explosé. La calamité de La Mouche, on en reparlera quand les esprits se seront un peu calmés…

Ils spéculent, nous payons.

Aujourd’hui, j’ai refait mes calculs. Et nous en sommes là, au quatrième trimestre 2025 : fini les savons à 4€… L’inflation a gagné même l’inflexible savonnier. Il vend des savons à 5€ sur le site, 4,50€ en direct, et c’est très difficile pour lui de le faire. Je ne peux vous dire que la vérité, parce que c’est moi, lui. 12,5 % d’augmentation. C’est à dire moins que l’inflation cumulée 2013 – 2025.

Si on résume les coûts aujourd’hui, on en est là : TVA: 0,83€. Coût des matière premières pour un savon : 0,85€. Coût de vente (dont part coopérative) : 0,60€. Reste 2,72€ pour fabriquer 3 fois ce que j’ai vendu. Moi: rien pour l’instant. 5€, ça passe !

Vous trouverez sans doute que 85 centimes pour fabriquer un savon, c’est pas beaucoup. Eh bien non, c’est pas beaucoup, vous avez raison. Il faut un peu mettre les points sur les i et désacraliser le coût du travail artisanal. On aime ce qu’on fait, et on essaie toujours d’en vivre. Sans abuser d’une image valorisante préétablie… qui nourrit aujourd’hui un mercantilisme exacerbé.

Je ne conditionne pas « Artisanat » à « Prix de dingues ».

Les huiles sont de bonne qualités ou bio ou certifiées ecocert ou locales. Oui, l’huile d’olive est chère, et non, on ne fait pas d’économies en la diluant dans d’autres huiles, faut pas croire, très loin de là. Je mélange parce que c’est bien meilleur pour notre peau (un peu de diversité ça fait du bien). Quand je le peux, je fabrique directement certaines matières premières dont j’ai besoin, et ça, ben c’est pas cher, et c’est très bon. Le reste, j’essaie de faire au mieux.

La question qui tue est la suivante : pourquoi trouve-t-on des savons SAF à 7, 8, 12* euros pièce ? Je persiste et je pense toujours que même les pauvres ont le droit à des trucs bons pour eux. Enfin, je veux dire : des trucs bons pour nous.

Ils spéculent ? Ne les encourageons pas. 

😘

*Oui, 12 balles les 100g ! Et ça se trouve en boutique … Je cafte pas.

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